Charles LAPICQUE, précurseur...
Charles LAPICQUE 1898-1988
On s'étonne parfois de voir, dans les peintures de Lapicque, «le dessin courir après la couleur et la couleur après le dessin ». C'est bien observé, et Lapicque cite ce propos avec satisfaction. Dessin et couleur échangent leurs propriétés, concourent à la pulsation énergique de la peinture et à son pouvoir d'évocation. Même quand le trait cursif paraît éliminé, que des plages de ton voisinent sans cloisonnement apparent, l'élément graphique ne perd pas son activité. Il continue à circonscrire et à lier les surfaces.
" Les régates "
1943
Tout effort pour définir l'invention a priori répandrait, dit Lapicque, « une platitude écurante» sur l'uvre.
Cet homme à l'esprit logique, dont les écrits sont composés comme d'impeccables dissertations, n'ignore pas la valeur de l'irrationnel.
«Sa démarche », écrit son meilleur critique, « a quelque chose de fulgurant, qui ne supporte ni retard ni obstacle» ; et lui-même décrit en termes émouvants le piétinement de l'artiste obligé de composer avec le temps: « Si [ma toile] pouvait naître dans un seul instant, cet instant s'en trouverait affecté d'une joie si pure qu'il serait la preuve d'une intervention étrangère à ce peu que je suis... Le temps vient apporter une sorte de mélange ou d'assourdissement.»
Lapicque ne dessine jamais sur le motif. « A nous, écrit-il, de donner de la réalité une apparence qu'elle n'a pas d'elle-même, une forme, une figure; et cela ne se fait que par la mémoire». Celle-ci filtre l'expérience, élimine plus qu'elle ne retient; mais elle reste encombrée de corps étrangers. Le dessin parfait le travail de la mémoire en substituant à ce milieu trouble ses «réserves», ses lignes nettes.
Lapicque appartient à la race de dessinateurs opposée à celle de Cézanne et de Giacometti, qui cherchaient à retenir « le frisson de la durée» dans la vibration et les repentirs de la ligne. C'est en quoi sa démarche peut être proprement qualifiée d'abstraite, alors même qu'elle débouche invinciblement sur des figures.
"Rencontre"
1946
Des figures particulières, et non cette vague «figure du Monde» qu'une peinture éprise d'effusion pure aspirait naguère à susciter. Un article mordant de Lapicque dénonçait alors dans cette prétention à l'universel «l'absence de tout désir sérieux d'atteindre le Monde en ses réalités singulières ».
" Claudius "
1950
Pour sa part, quel que soit son don de sympathie (qu'il n'exerce pas à la cantonade), il réserve sa prédilection à quelques objets, et il leur reste fidèle malgré son impressionnante faculté de renouvellement: la mer, les rochers, les voiliers, la musique, les chevaux, le tennis; les chevaliers, les fauves, rencontrés dans ses lectures et dans ses visites aux Invalides ou au Jardin des Plantes...
A quoi s'ajoute la moisson de rares voyages: Venise et Rome surtout, l'Atlas Saharien, l'Espagne, la Hollande...
" Le Ker "
1947
Il faudra définir un jour l'influence exercée par Lapicque sur les artistes de son temps. On aperçoit déjà ce que Bazaine, et à sa suite Manessier, Singier, Le Moal, doivent aux peintures bleues et rouges de 1939-40, Atlan aux dessins de 1944, Dubuffet aux mêmes dessins et aux figures à «ossature blanche» de 1953.
" Rencontre dans la campagne "
1944
Pierre Georgel
" Les dessins de Lapicque au Musée National d'art moderne"
Centre Georges Pompidou du 1 er mars au 23 avril 1978